Steve Hackett le 22 Mai 2003 - Paris


" Steve Hackett ? C’est qui ?” : c’est la première question qui m’est venue à l’esprit, grand ignorant que je suis, car je suis trop jeune pour avoir entendu parler de ce Monsieur, car c’est bien là le terme qui convient : Steve Hackett a été le premier guitariste du groupe Genesis aux côtés de Phil Collins et Peter Gabriel. Nous le rencontrons aujourd’hui le 22 Mai 2003, pour qu’il nous parle de son dernier album « To Watch The Storm » sorti en Juin sous le label SPV.


Aedonia : Pourriez-vous me résumer les moments clés de votre carrière selon votre point de vue ?
Steve Hackett : Eh bien … J’ai commencé à faire de la musique très jeune. Vers 2/3 ans , je jouais déjà de l’harmonica car mon père jouait de beaucoup d’instruments différents comme de la clarinette, de la guitare … C’est lui qui m’a mis à la musique et aussi qui m’a appris à jouer du « mellotron » … Quand j’ai eu 12 ans par là, je me suis intéressé à la guitare, et une nouvelle fois c’était la guitare de mon père dont je me servais … Je me suis mis à jouer 2/3 accords puis vers 14 ans j’avais pris l’habitude de jouer tous les jours, et jouer en même temps de l’harmonica et de la guitare … Je jouais du Bob Dylan, des Beatles, les Rolling Stones … La chose la plus importante c’est qu’à l’époque, en 1964, j’écoutais alors les groupes avec lesquels j’avais grandi, j’ai commencé à écrire de la musique classique … Le premier album que j’ai acheté en fait c’était à 12 ans, le Boléro de Ravel, et j’adorais ce disque … Comme tu peux le voir c’était en complet contraste avec la musique que j’écoutais habituellement … J’écoutais aussi des groupes plus anciens que les Beatles comme The Shadows, qui était un groupe de guitare instrumentale. Ce qu’ils faisaient sonnait comme une bande son d’un film de cow-boys, un genre de country, ou on imaginait bien le cow-boy solitaire sur son cheval traversant les plaines désertiques du grand Ouest américain … C’est à cette époque que j’ai changé de goûts musicaux, car le rythm and blues faisait son apparition … Des gens comme Chuck Berry commençait à avoir une grande influence sur ce que je faisais … Et un déclic s’est produit en 1965, quand j’avais 15 ans, une collègue de travail de ma mère lui a passé un album pour me le faire écouter. Elle lui a dit : ton fils commence à apprendre la guitare et ceci devrait l’intéresser. Et c’était André Segovia un guitariste qui jouait du Bach. Je ne connaissais que les guitares électriques et c’est comme ça que je me suis intéressé à ce qu’on pouvait faire avec une guitare avec des cordes en nylon. J’ai réalisé à quel point le son était beau, riche et abouti et qu’il était possible de jouer de la musique classique au départ écrite pour un piano ou des violons, ou violoncelles. C’est après ça que je suis devenu complètement schizophrénique dans mes goûts … J’écoutais de la pop, du rock et de la musique classique en même temps mais je ne pensais pas encore qu’il était possible de mélanger tous ces types de musique … Ce n’est qu’en arrivant dans Genesis que j’ai commencé à explorer la possibilité de mélanger le rock et la musique classique … J’avais d’un côté la musique blanche européenne, classique, et de l’autre côté la musique noire américaine sur fond de blues … Dans ce groupe nous écoutions tous des styles de musique très différents : Phil Collins écoutait du Jazz, j ‘écoutais moi-même du blues, de la musique indienne, Peter Gabriel était intéressé par toutes sortes musiques traditionnelles, Mike Rutherford écoutait de la musique folk comme Judy collins et Johnny Mitchell, Anthony aimait la musique classique et nous aimions tous les Who et le jeu de Keith Moon. Je suis resté dans ce groupe a peu près 6 ou 7 ans et j’ai participé à 8/10 albums (2 lives) et Peter Gabriel qui était le chanteur de Genesis a quitté le groupe en 1975 pour se retirer du show business et s’occuper de sa famille. On ne savait si Genesis continuerait en tant que groupe et par chance Phil Collins qui était notre batteur et qui chantait occasionnellement pour les chœurs a décidé de prendre la place de chanteur, ce qui correspondait à nos attentes à tous. Au même moment j’ai décidé d’écrire un album par moi-même, « Voyage of the Acolyte » et j’ai réalisé que j’étais capable de vendre des disques sous mon propre nom. J’ai donc décidé d’abandonner le groupe deux ans plus tard, car j’avais beaucoup de chansons que je voulais enregistrer sans forcement vouloir attendre l’approbation de tous les membres du groupes sur mes morceaux. J’ai donc quitté Genesis en 1977 et j’ai continué une carrière solo jusqu’à maintenant, et j’ai dû faire une trentaine d’albums incluant les lives, les compilations, etc … J’ai 53 ans maintenant, ça fait un petit moment que je fait mon chemin …

A : Entre aujourd’hui et l’époque de Genesis quels sont selon vous les changements le plus radicaux dans votre musique ?
SH : Après avoir quité Genesis j’ai fait un album par moi même sans avoir de groupe mais en utilisant des invités. Pour l’album suivant « Spectral Mornings » , je voulais avoir un groupe pour pouvoir faire des concerts, alors j’ai écrit cet album chez moi. On est parti en tournée, et il a été très bien perçu par le public avant même que le disque soit pressé. On savait alors que les gens seraient intéressés par l’album, et je pense avoir écrit l ‘album que préfère tous mes fans. Ca a été une très bonne expérience pour moi car quand tu joues devant une foule très enthousiaste par rapport a ta musique ça te donne la force de jouer ta musique le mieux possible, de te dépasser … C’est pourquoi cet album est très important pour moi … Un autre point important dans ma carrière, c’est en 1980, quand j’ai commencé à faire des disques entièrement basé sur de la guitare classique avec des cordes nylon … J’avais sorti jusqu’ici des albums Rock, et je jouais depuis longtemps de la guitare acoustique … Pour cet album je ne voulais pas de chant, que des morceaux d’influence classique ou folk mais ma maison de disques n’a pas voulu sortir ce disque alors j’ai du chercher une autre maison de disques et ça a été le début d’une période bizarre pour moi car j’ai du ensuite changer de maison de disques pour chaque album … Ca a été une période difficile, car je n’avais plus la possibilité d’avoir des gens qui me supportait vraiment, qui m’encourager dans ma voie … J’ai signé des contrats dans beaucoup de labels et j’ai finalement créé mon propre label « Camino Records » avec mon agent et ma femme. Ca a été un tournant dans ma carrière car maintenant nous faisons nos propres albums, j’ai mon propre studio, et ça rend les choses beaucoup plus faciles. Habituellement c’est ma femme qui crée les pochettes de disques, comme ça nous travaillons ensemble.

A : C’est votre femme qui a fait toutes les images du booklet de « To Watch The Storm » ?
SH : Oui elle a fait la couverture et tous les autres images. Elle fait des toiles et des bijoux, et elle expose en ce moment au Brésil. C’est une artiste pleine de talents et qui travaille très dur.

A : Quelles étaient les directions que vous vouliez suivre pour ce nouvel album ?
SH : Je voulais faire un ensemble de morceaux qui seraient extrêmement variés. Je ne voulais pas d’un album avec un seul style musical, mais plutôt avec différentes influences. D’un côté tu as le premier morceau de l’album qui est assez court, dans un style pop, assez simple, puis l’album devient de plus en plus expérimental dans le sens où il réunit des styles musicaux très différents et des musiques d’origine très opposées. C’est un peu quand si tu te sentais perdu dans un magasin de jouets … Par exemple au début du second morceau « Circus of Becoming » , tu entends au début de l’orgue qui donne une ambiance un peu de film d’horreur, comme une messe noire, puis tu rentres dans cet effet magasin de jouets, avec un son d’orgue de barbarie un peu déréglé, comme si on était dans un cirque … On part d’un son un peu intimiste pour finir avec un gros son de batterie, avec un clavier très présent, un gros son de guitare électrique, et le morceau explose et prend corps d’une façon qu’on attendait pas spécialement au début … De même pour le morceau « Mechanical Bride » qui devient du rock très lourd … En fait pour créer cet album, je l’ai pensé un peu comme une musique de film avec des morceaux qui commencent d’une certaine façon et qui plongent ensuite dans une ambiance complètement inattendue. L’album devient au fur et à mesure des morceaux, ethnique, dissonant, étrange pour évoluer sur des morceaux plus reposants, avec plus de paroles qui m’ont été inspirées par le livre « Du vent , du sable et des étoiles » de Saint Exupéry. Les derniers titres ressemblent plus à de la musique folk et classique. Cet album n’a pas vraiment de style mais se comporte un peu comme une personne avec beaucoup d’humeurs différentes, et il n’est pas possible de se focaliser sur un moment précis car les ambiances n’arrêtent pas de changer tout le temps. En fait mon but c’était de toujours surprendre les personnes qui écouteraient le CD par sa diversité musicale.

A : Comment écrivez-vous vos morceaux et comment mettez-vous bout à bout toutes ces idées ?
SH : Aujourd’hui, j’écris mes morceaux sur papier.Ca m’arrive de le faire avec ma guitare dans les mains, mais souvent sans instrument, j’écris ce qui me vient à l’idée et qui m’est inspiré par une autre chose que j’entends. Il y a trois morceaux de l’album que j’ai écrit avec des claviers et plus précisément avec un vieux clavier du début des années 70, l ‘Optigan, qui était à la base plus un jouet qu’un instrument. Il permet de faire sonner un seul musicien comme un groupe complet. J’ai découvert qu’en fait il était possible de passer un disque à l’envers ou le ralentir ou encore l’accélérer, de mélanger des disques qui pourraient sonner comme des musiques de cirque avec des disques avec des violons , d’autres encore avec de la musique folklorique, et le tout avec une relativement mauvaise qualité de son … C’est en fait un moyen que j’utilise pour avoir des idées d’arrangements qui ne me seraient pas venues autrement … Je ne suis pas une personne très technique alors j’ai du mal à travailler avec des ordinateurs et des séquenceurs. En fait c’est appareil est facile à utiliser car il pourrait être utilisé par un enfant , il suffit d’appuyer sur un bouton pour en obtenir quelque chose … J’aime bien écrire des morceaux avec, et en importer des sons pour mes albums. Je me suis rendu compte que quand j’utilise cet instrument ça sonne un peu comme du Georges Martin qui travaillait pour les Beatles. Il écrivait des arrangements pour eux, et je ne crois qu’ils seraient devenus ce qu’ils sont sans lui. Je ne sais pas trop comment ils travaillaient ensemble mais ils composaient avec l’aide de beaucoup d’autres musiciens, que ce soit avec des orchestres complets ou par l’influence de Georges Harisson qui composait de la musique indienne et jouait du sitar. L’optigan est en fait un accès à un très grand nombre de musiciens sans pour autant les avoir en chair et en os avec soi. Ce que je fait en fait c’est de mettre des arrangements dans les morceaux qui ne sont pas prévus de rentrer dans la chanson. En fait je sais écrire un morceaux pop mais je ne suis pas familier avec les Jazz Band et l’optigan me permet à partir des disques d’incorporer ces styles dans mes morceaux. Quand je joue un disque à l’envers ça devient tout de suite de la musique psychédélique. Il y a beaucoup d’autres appareils maintenant qui jouent le musique à l’envers et très souvent ils sont utilisés dans les films, par exemples les phrases de guitares qu’on entend dans les films comme dans Tomb Raider sont jouées à l ‘envers. Ca donne tout de suite un effet atmosphérique, magique à la musique. Il y a aussi des pédales pour guitare qui permettent d’enregistrer une phrase et la rejouer à l’envers. J’en utilise quand je fait des concerts pour avoir des versions jouées à l’envers de ce que je fais.

A : Comment choisissez-vous les musiciens pour vous accompagner dans votre musique ?
SH : Pour cet album c’est un nouveau groupe, je n’ai jamais travaillé avec ces musiciens avant. J’avais déjà travaillé avec le claviériste Roger King, qui s’est occupé des programmations, et le mastering de l’album, et certains des autres musiciens en tournée mais c’était la première fois qu’ils se retrouvaient tous ensemble. Ce sont de très bons musiciens et ils viennent aussi tous d’horizons différents.

A : Comment pourrait-on décrire cet album ?
SH : Ce type de musique pourrait paraître difficile à assimiler car il part un peu dans toutes les directions, avec des influences de Jazz, musique classique … Je pense que le terme le plus approprié serait dissonant, atonal … Ce n’est pas très mélodique mais construit pour sonner de façon agressive ou cacophonique … L’autre face de l’album est très douce, très chantée qui racontent des histoires d’amour avec des personnages ou des lieux.

A : Avez-vous des rêves que vous voudriez réaliser en dehors du domaine musical ?
SH : Je ne suis pas porté sur les rêves, je trouve que ça mène nulle part, mais une fois dans ma vie j’aurais aimé faire un film et écrire la musique qui l’accompagne mais je ne pense pas être la bonne personne pour me lancer dans un projet comme ça. Je ne m’en crois pas capable. J’ai dirigé un court métrage, juste comme ça pour essayer. Je préfère rester dans la musique. Mais j’ai d’autres ambitions comme lire le plus de livre possible, j’adore lire … En fait j’ai beaucoup de rêves mais ils restent avant tout des rêves …

A : Voulez-vous ajouter quelque chose ?
SH : Eh bien, j’ai beaucoup parlé alors je n’ai pas grand chose à ajouter.

A : Merci !!
Vous pouvez telecharger une applet Java qui représente un Optigan ici.
Site officiel.